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le blog de lianoire
21 juillet 2010

Quand un écrivain africain décide de se jeter dans la fosse aux lions

Par dépit et parce que l’homme ne lâche jamais, difficilement impressionnable même par son prix Nobel obtenu en 1986, alors qu’aucun autre écrivain africain n’avait encore eu ce privilège ; Wole Soyinka a décidé hier de créer un parti politique progressiste the Democratic Front for People’s Federation. Celui-ci devrait voir le jour en septembre.

L’annonce a été faite lors de sa cérémonie d’anniversaire (soyinka né en 1934 a eu le 13 juillet, 76 ans) au MUSON centre de Lagos alors que les débats parlementaires font rage à l’assemblée et que la situation politique du pays est toujours chaotique.1_ken_saro_wiwa
Qu’est ce qui a été le déclic pour que l’homme décide ainsi de se jeter complètement dans la fosse aux lions ?
L’événement ne saurait être l’entrée en politique de Soyinka puisque l’écrivain est connu pour ses positions affirmées pour la sécession du Biafra en 1967, contre la corruption et pour l’appui au MEND (mouvement pour l’émancipation du delta du Niger) qui lutte depuis plusieurs années avec des moyens logistiques et militaires impressionnants contre les multinationales pétrolières et le gouvernement nigérian pour que les richesses dans la région de Rivers qui fournit 90% des devises du pays, soient équitablement distribués.

wole_soyinka_griooSoyinka a par ses activités politiques jugées subversives, séjourné plusieurs fois en prison et parfois longtemps, connu l’exil et a même été condamné à mort. De ses années de geôle, il a tiré un ouvrage que je jugeai à l’époque lorsque je l’avais lu inquiétant, glaçant tant l’expérience de l’écrivain y avait été amère. Une saison d’anomie publié en 1973 est absolument à lire. L’obstination et sans doute la bonne étoile de Wole Soyinka ne lui feront pas connaître le triste destin d’un autre écrivain nigerian, Ken Saro-Wiwa originaire justement de la région du Delta, pendu en 1995 à Port Harcourt. Soyinka dont l’œuvre littéraire est prolifique a écrit notamment A dancing in the Forest qui évoque la corruption dans son pays, une pièce de théâtre qui a été controversée par ses opposants qui lui ont reproché d’utiliser la langue du colonisateur (l’anglais) pour disqualifier la politique nationale !
Le nobélisé semble aujourd’hui excédé par l’application schizophrène du Nigeria à être le plus mauvais exemple en Afrique et ceci dans les domaines les plus prioritaires : politique, bonne gouvernance, religion et sécurité. Même le MEND risque d’être désavoué par l’un de ses appuis, Soyinka menace en effet de leur retirer son soutien si le mouvement ne respectait pas l’amnistie présidentielle signée sous le gouvernement du feu Umaru Yar’Adua en 2009. Le MEND est aujourd’hui de plus en plus disqualifié par des enlèvements et des actes de destruction ou de violence attribués à d’autres branches qui se revendiqueraient du mouvement de la région du Rivers. L’entrée en campagne politique de Soyinka marquera certainement une rupture dans sa carrière et dans son engagement pour son pays.


                                  Certains écrivains africains sont connus pour avoir été du côté politique pendant de longues années parfois jusqu’à leur mort, le bilan qu’on peut en faire risquerait d’être mitigé.
Léopold Sedar Senghor laissera plus son empreinte dans la littérature que de ce qu’il a fait du Sénégal, livré à De Gaulle et ses acolytes qui tiraient les ficelles de loin.
L’écrivain nigérien et député Boubou Hama sera en politique jusqu’à sa mort, toujours cramponné au régime de Hamani Diori et au parti jusqu’à ce que Seyni Kountché le fasse déchoir. Il ne sera illustré pour aucun positionnement idéologique fort.
C’est du côté du Burkina-Faso qu’on trouvera peut être l’exemple rare d’un écrivain-politicien engagé et fidèle à ses convictions politiques jusqu’à sa fin. Joseph Ki Zerbo, historien et député avait milité pendant 50 ans dans l’opposition et créé avec le sénégalais Cheikh Hamidou Kane, le Mouvement de Libération Nationale qui conduira à la chute du premier président burkinabé, Maurice Yaméogo. Ki Zerbo aura marqué les esprits par son militantisme et son refus de ce que j’appellerai la condescendance senghorienne. On lui attribue cette célèbre phrase : : "Na lara, an sara " (si nous dormons, nous sommes morts, en langue dioula) ou encore celle-ci : « la main tendue du gouvernement est celle d’un karatéka ». Wole Soyinka qui a affronté idéologiquement Léopold Sedar Senghor dans ses écrits ne sera jamais l’homme dont des considérations opportunistes conduiront à un retournement de veste où à un adoucissement des convictions. Le pouvoir lui fait horreur, surtout son côté le plus néfaste, face la plus prisée dans l’histoire politique des dirigeants africains (Nelson Mandela hormis). La question est qu’est ce qu’il espère défendre de plus ou plus fortement en créant un parti politique ? Quels seront les objectifs politiques du Democratic Front for People’s Federation ? La lutte contre la corruption peut-il être le seul réservoir d’un programme politique et d’un calendrier présidentiel si l’écrivain souhaite aller jusque là ? Soyinka se salira t-il les mains jusqu’au bout ? ki_zerbo

Photo:
1) Wole Soyinka en mars 2007
© AP (G Kefalas)                                     
2) Ken Saro-Wiwa, http://babajidesalu.files.wordpress.com/2009/05/1-ken-saro-wiwa.jpg
3) Joseph Ki-Zerbo, A quand l'Afrique, Editions l'Aube, 2003, Couverture de livre

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