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le blog de lianoire
12 octobre 2009

Les frasques d’une société en décadence ou quelques « sénégalaiseries »

         Dieu le pire, le dernier recueil de nouvelles, publié par Ibou Fall est sans doute le meilleur, le pire et le plus drôle que l’on puisse lire sur la société sénégalaise d’aujourd’hui.
Depuis le mois d’avril ce petit recueil fait des vagues comme avant lui les feux journaux d’Ibou Fall, j’ai nommé Track et Frasques qui ont nourri les lecteurs d’informations fracassantes sur la société sénégalaise pendant quelques petites années avant qu’Ibou Fall, journaliste, écrivain talentueux ne mette clé sous la porte.

Il m’avait été donné l’année dernière de lire avec délectation le manuscrit en gestation ; sous imprimé, le plaisir est toujours aussi vif et au rendez –vous de chaque tirade.

Des nouvelles au fil des pages qu’on a du plaisir à enfiler comme des petits pains même si il peut vous en rester à travers la gorge. Le recueil de nouvelles, Dieu le pire est tel un miroir tendu aux fesses hideuses de nos mœurs hypocrites. Ibou Fall ne prend ni fourchette, ni gants, ni bistouri pour renifler à plein nez l’odeur souvent fort nauséabonde de notre société en débauche ; il empoigne à pleines mains nos dictons sexistes  genre : « Liguéy’ou ndèye, le tribut aux mères vertueuses », notre fatalisme à toute épreuve, les mensonges et la veulerie érigés en tradition et notre sacrée sainte téranga pour en montrer les dessous. Autant dire que tout ce qui pue chez nous passera sous le microscope d’Ibou Fall et dans un style d’écriture riche, grasse et incisif mais on en rit à gorge déployée.dieu_est_grand_mais_nos_soucis_st_petits

Nattou yallah (les infortunes causées par dieu) ça n’arrive qu’à un bon croyant aussi Ibou s’évertuera à nous donner des exemples hilarants c’est celui par exemple du citoyen africain né dans un bled du sahel, paumé sans arbre sans ombre et sans eau qui aura bu et vu comme eau celle saumâtre du puits à 2km, dernier d’une famille ou il est le souffre-douleur d’une interminable liste de frères et sœurs « quand on se soumet à dieu on fait des enfants tant qu’on peut , pour que prolifère à l’envi la race de ses serviteurs les plus dociles. Votre père ce sénégalais irréprochable, à partir du vingt cinquième descendant, n’a plus compté…il ne sait même plus quel nom il a donné à qui, si vous êtes un garçon ou une fille, ni qui est votre mère. Ce serait peine perdue : il y a de quoi chercher longtemps parmi les quatre sokhna (femmes) qu’il a épousées dans les normes, les vingt et poussières diongomas auxquelles il a plus ou moins mis une corde autour du cou(« mèye la boum ») qu’ils appellent ça ! et qu’il a perdu de vue, ne sachant plus vraiment s’il les a répudiées ou pas. Et puis arrive le troisième contingent, celui des takoos, les ménopausées devenues frigides qu’on ne visite qu’un après midi par mois en souvenir des émois déjà lointains de leur jeunesse débridée » et puis ce n’est que la préface de votre vie, le petit citoyen n’a pas le temps de baigner dans l’enfance qu’il est projeté dans la civilisation grâce au ndiaga ndiaye et confié à un maître coranique qui sera chargé de lui inculquer à coups de taloches « les principes immuables des bonnes manières en société wolof »  sous fond d’ « attouchements nocturnes de vos condisciples prépubaires » et ce n’est toujours pas fini, le petit citoyen après dix ans chez le maître coranique apprend que sa famille a été décimée par qui le choléra, l’autre le paludisme, sa mère une énième et fatale fausse couche « mâtinée d’erreur médicale » bien sûr, notre petit citoyen donc partira à Dakar pour vendre du café dans la rue, « éternel gagne-petit » il culbutera perpétuellement « de la mauvaise fesse » et mettra « au monde que des ratés et laiderons » mais tout cela « n’arrive qu’à un authentique croyant » rappelle perfidement Ibou Fall, inutile de vous dire que notre petit citoyen finira entre les mains d’une infirmière qui va saloper son traitement contre une fièvre et qu’il finit dans un cimetière musulman «  sous un tas de terre argileuse, précisément là où le soleil tape plus fort que partout ailleurs sans un seul arbuste à cent mètres à la ronde et où personne n’a envie de venir se prosterner une fois par mois, non loin des petites villas en marbre qui servent de dernières demeures aux disparus de bonne famille…ça n’arrive vraiment qu’à un croyant… »

Ibou Fall est tout sauf un moraliste ou donneur de leçon, il se contente de décrire les faits et gestes des sénégalais, des constats assenés comme un gourdin sur nos nuques, sans complaisance et avec humour. merci_pour_tout_papaAucun sujet n’est tabou sous sa plume : politique et politiciens, la religion sous ses manifestations actuelles, nos cérémonies tapageuses, les parents, les musiciens et le wolof…

Ainsi en dehors de la catégorie des transhumants politique, Ibou Fall attire l’attention sur les transhumants religieux : « même dans la religion la foi n’est pas indécrottable. Quand vous vous rendez compte que l’impact des prières de votre marabout et surtout ses entrées dans les coulisses du pouvoir, ne répondent pas à vos attentes et ne donnent pas le coup de pouce décisif à votre carrière, eh bien vous prenez natte, chapelet, et babouches sous l’aisselle, et allez prier ailleurs, derrière un soufi qui a au moins le portable du directeur de cabinet politique du président de la république. A quoi ça sert, un érudit de l’islam dont les coups de fil ne vous sortent d’aucune impasse, ne vous garantissent aucune impunité, n’exaucent aucun de vos vœux. Un marabout qui ne sait pas se faire obéir des hommes, vous croyez qu’il a le moindre pouvoir sur dieu ? »

 


Ibou Fall, Dieu le pire, il serait capable de décréter la fin des temps, Forte Impression, 2009
Illustrations tirées du livre

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