Les frasques d’une société en décadence ou quelques « sénégalaiseries »
Depuis le mois d’avril ce petit recueil fait des
vagues comme avant lui les feux journaux d’Ibou Fall, j’ai nommé Track et
Frasques qui ont nourri les lecteurs d’informations fracassantes sur la société
sénégalaise pendant quelques petites années avant qu’Ibou Fall, journaliste,
écrivain talentueux ne mette clé sous la porte.
Il m’avait été donné l’année dernière de lire avec
délectation le manuscrit en
gestation ; sous imprimé, le plaisir est toujours aussi vif et au rendez –vous de chaque tirade.
Des nouvelles au fil des pages qu’on a du plaisir à
enfiler comme des petits pains même si il peut vous en rester à travers la
gorge. Le recueil de nouvelles, Dieu le pire est tel un miroir tendu aux fesses
hideuses de nos mœurs hypocrites. Ibou Fall ne prend ni fourchette, ni gants,
ni bistouri pour renifler à plein nez l’odeur souvent fort nauséabonde de notre
société en débauche ; il empoigne à pleines mains nos dictons
sexistes genre : « Liguéy’ou
ndèye, le tribut aux mères vertueuses », notre fatalisme à toute
épreuve, les mensonges et la veulerie érigés en tradition et notre sacrée
sainte téranga pour en montrer les dessous. Autant dire que tout ce qui pue
chez nous passera sous le microscope d’Ibou Fall et dans un style d’écriture
riche, grasse et incisif mais on en rit à gorge déployée.
Nattou yallah (les infortunes causées par dieu) ça n’arrive qu’à un bon croyant aussi
Ibou s’évertuera à nous donner des exemples hilarants c’est celui par exemple du
citoyen africain né dans un bled du sahel, paumé sans arbre sans ombre et sans
eau qui aura bu et vu comme eau celle saumâtre du puits à 2km, dernier d’une
famille ou il est le souffre-douleur d’une interminable liste de frères et
sœurs « quand on se soumet à dieu on
fait des enfants tant qu’on peut , pour que prolifère à l’envi la race de
ses serviteurs les plus dociles. Votre père ce sénégalais irréprochable, à
partir du vingt cinquième descendant, n’a plus compté…il ne sait même plus quel
nom il a donné à qui, si vous êtes un garçon ou une fille, ni qui est votre
mère. Ce serait peine perdue : il y a de quoi chercher longtemps parmi les
quatre sokhna (femmes) qu’il a épousées dans les normes, les vingt et
poussières diongomas auxquelles il a plus ou moins mis une corde autour du
cou(« mèye la boum ») qu’ils appellent ça ! et qu’il a perdu de
vue, ne sachant plus vraiment s’il les a répudiées ou pas. Et puis arrive le
troisième contingent, celui des takoos, les ménopausées devenues frigides qu’on
ne visite qu’un après midi par mois en souvenir des émois déjà lointains de
leur jeunesse débridée » et
puis ce n’est que la préface de votre vie, le petit citoyen n’a pas le temps de
baigner dans l’enfance qu’il est projeté dans la civilisation grâce au ndiaga
ndiaye et confié à un maître coranique qui sera chargé de lui inculquer à coups
de taloches « les principes
immuables des bonnes manières en société wolof » sous fond
d’ « attouchements nocturnes de
vos condisciples prépubaires » et ce n’est toujours pas fini, le petit
citoyen après dix ans chez le maître coranique apprend que sa famille a été décimée
par qui le choléra, l’autre le paludisme, sa mère une énième et fatale fausse
couche « mâtinée d’erreur
médicale » bien sûr, notre petit citoyen donc partira à Dakar pour
vendre du café dans la rue, « éternel
gagne-petit » il culbutera perpétuellement « de la mauvaise fesse » et mettra « au monde que des ratés et laiderons » mais tout cela « n’arrive qu’à un authentique croyant » rappelle perfidement Ibou Fall, inutile de vous dire que notre petit citoyen
finira entre les mains d’une infirmière qui va saloper son traitement contre
une fièvre et qu’il finit dans un cimetière musulman « sous un tas de terre argileuse, précisément
là où le soleil tape plus fort que partout ailleurs sans un seul arbuste à cent
mètres à la ronde et où personne n’a envie
de venir se prosterner une fois par mois, non loin des petites villas en marbre qui servent de dernières demeures aux
disparus de bonne famille…ça n’arrive vraiment qu’à un croyant… »
Ibou Fall est tout sauf un moraliste ou donneur de
leçon, il se contente de décrire les faits et gestes des sénégalais, des
constats assenés comme un gourdin sur
nos nuques, sans complaisance et avec humour. Aucun sujet n’est tabou sous sa
plume : politique et politiciens, la religion sous ses manifestations
actuelles, nos cérémonies tapageuses, les parents, les musiciens et le wolof…
Ainsi en dehors de la catégorie des transhumants
politique, Ibou Fall attire l’attention sur les transhumants religieux :
« même dans la religion la foi n’est
pas indécrottable. Quand vous vous rendez compte que l’impact des prières de
votre marabout et surtout ses entrées dans les coulisses du pouvoir, ne
répondent pas à vos attentes et ne donnent pas le coup de pouce décisif à votre
carrière, eh bien vous prenez natte, chapelet, et babouches sous l’aisselle, et
allez prier ailleurs, derrière un soufi qui a au moins le portable du directeur
de cabinet politique du président de la république. A quoi ça sert, un érudit
de l’islam dont les coups de fil ne vous sortent d’aucune impasse, ne vous garantissent
aucune impunité, n’exaucent aucun de vos vœux. Un marabout qui ne sait pas se
faire obéir des hommes, vous croyez qu’il a le moindre pouvoir sur dieu ? »
Ibou Fall, Dieu le pire, il serait capable de
décréter la fin des temps, Forte Impression, 2009
Illustrations tirées du livre