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le blog de lianoire
16 décembre 2008

Nuruddin farah, une trilogie nommée quête

Ce ne devait pas être au début un choix conscient, lire la trilogie de  Nuruddin Farah à l'envers. Secrets (1998), Dons (1992), puis Territoires (1986).
Décrypter le langage de Farah c'est avoir entamé au préalable avec l'anthropologie un dialogue profond. Mythes fondateurs, symbolisme du rêve, importance des signes, le partenariat intergénérationnel sont des éléments qui assurent une permanence et une survie à l'Afrique dans l'oeuvre de l'écrivain somalien en exil.
potlatchDans Secrets, l'on nous demande de décrypter des signes, de déchiffrer le sens des mots, d'entrer dans le mystère, le mysticisme et le non-dit. L'on suit ainsi Kalaman, le héros dont le nom signifie impasse, fruit d'un viol collectif tels certains pays africains après la conférence de Berlin, il n'aura de cesse d'aller en quête de l'origine.
Secrets aurait pu être appelé ainsi Origines au pluriel, tant chacun part dans une quête de soi continuelle qui définit dans une recherche du plaisir, dans le viol des interdits liés au sexe, dans le crime.
L'acte d'écrire est hautement politique chez Nurruddin Farah à qui une trentaine d'années d'exil permet de s'ancrer difficilement quelque part et qui nous invite à une mobilité du regard.
Mogadiscio est n'importe quel pays d'Afrique en guerre ou en paix (ce qui n'est que l'état d'une avant guerre) en crise d'identité. Dans le second de la trilogie, le titre en résume tout et n'en dit pas plus, le reste est au fil des pages.
Les ressorts du don sont revus, critiqués. L'acte de donner implique plusieurs significations, la philosophie du don n'est pas la même que l'on soit en politique ou inscrit dans un acte religieux, pas plus que le don de son coprs d'une femme à un homme ne revêt le même sens que d'autres dons. Les nombreuses facettes du don ont été étudiés par les anthropologues ( le potlatch par Robert.H.Lowie, le don de Marcel Mauss, la nouvelle philanthropie bourgeoise de la Chine post tsunami par Bernard Hours ( travaux en cours avec Monique Selim), etc). Certains penseurs africains dont Sembene Ousmane nous a invité des années plutôt à réfléchir sur le cynisme du don alimentaire, la charité internationale faite à nous africains qui tendons la gamelle vide. Guelwar est un monument cinématographique  qui éclaire et polémique sur l'ambiguïté du don et sur la propension des élites politiques africaines  à tendre la main pour recevoir...en notre nom.
Farah, dans son roman qui nous promène dans un Mogadiscio malade de ses pénuries, tire une ficelle de chaque forme que peut revêtir le don.
Duniya son héroïne lutte contre cette charité qui maintient les hiérarchies sociales, économiques mais aussi genrées.
Entreprise philanthropique, don chrétien, sacrifice musulman, don ostentatoire (qui amoindrit l'effet bénéfique et généreux du don selon le texte coranique), les dons ont une dimension symbolico-religieux.
Dons
est en quelque sorte un réquisitoire contre cette nouvelle culture du recevoir, de la main tendue, que les africains ont hérité de l'époque coloniale et renforcé dans le postcolonialisme.
Pourquoi, nous faudrait-il recevoir, aurions-nous d'emblée droit à ce que les occidentaux produisent? Pourquoi? Parce que nous serions les seuls à souffrir, à avoir et à revendiquer une histoire unique, inique, douloureuse qui nous attribuerait une place spéciale, nous africains?
Pourquoi l'Europe devrait systématiquement nous tendre la main?secrets
Contre cela, Farah s'insurge: dans leurs haillons, les somaliens en pleine guerre drapés de leur dignité ne demandaient rien, un rite social définit la règle du don qui autorise rarement à recommencer, le don traditionnel collectif, nécessite un contre don. Aujourd'hui, les dirigeants africains mendient sans cesse pour payer leur rythme de vie (voitures blindées, caviar, nombreuses femmes parées de bijoux, villas en Europe, dizaine de compte en banque, etc) et les politiques publiques qui ne se suffisent jamais d'un premier financement. La plupart des africains eux remarquent Duniya, vivent au dessus de leurs moyens, avec entêtement ajouterais je. A Mogadiscio, chez les filles peinturlurées de Dakar, à Johannesbourg, chez les immigrés maliens de Montreuil venus en vacances à Bamako ou chez nos compatriotes congolais aux vêtements bariolés.
C'est sans doute parce que nous lorgnons fiévreusement et avec schizophrénie le progrès à l'occidental, le modernisme à l'occidental que la facture est énorme de Lagos à Casablanca en passant par la jet set sénégalaise qui envahit les rues de Dakar le samedi soir. Pourtant on nous apprend que nous devons des milliards alors que les zimbabwéens ont faim, que de la famine au Niger son président Tandja n'est pas au courant et que les petits congolais mangent dans les poubelles.

nuraddin_mainFarah est un écrivain mondialisé qui engage la critique sociale par l'allégorie, le conte, le mythe. C'est ce qui rend son message si pénétrable dans Dons et moins dans Secrets. L'enfant trouvé dans Dons par Nassiba et remis à Duniya n'est-il pas ce territoire (l'Ogaden) que la Somalie et l'Éthiopie se disputent et qui mort révèle le dénuement et la vacuité des préoccupations de conquête et de pouvoir sur le sens de la vie, cette vie qui ne tient au même titre que la survie de l'enfant trouvé... qu'à un fil.

ET que nous dit Territoires? Cela je vous le conterai une autre fois



PHOTOS:

1) Cérémonie de Potlatch, photographie prise en 1895, près de Chilkat, en Alaska, Museum of History and Industry/Corbis.
2) Photo couverture Secrets, Editions le Serpent à plumes, 1999
3) Nuruddin Farah en séance de dédicaces à l'université du Minnesota, www.hiiraan.com/op2/2006/feb/listener%E2%80%9...

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